Il semblerait que le lauréat [Leonard Cohen] connaisse le secret de l'univers, qui, au cas où vous vous poseriez la question, est tout simplement le suivant : tout est lié. Tout. De nombreux liens, si ce n'est la plupart, sont difficiles à déterminer. L'instrument, l'appareil, le rayon focalisé qui peut découvrir et éclairer ces liens est le langage. Et de même qu'un engouement soudain illumine souvent l'atmosphère biochimique d'une personne de manière plus pyrotechnique qu'un attachement profond et durable, de même un élan improbable et inattendu d'imagination linguistique révélera généralement de plus grandes vérités que l'érudition la plus rigoureuse. En fait, l'image poétique est peut-être le seul moyen d'exprimer la vérité. L'image poétique est peut-être le seul outil capable de disséquer la passion romantique, sans parler de révéler les qualités mystiques inhérentes au monde matériel. C'est une voix ratissée par les griffes de Cupidon, une voix frottée à vif par la pierre philosophale. Une voix marinée dans le kirschwasser, le soufre, le musc de cerf et la neige ; bandée avec le sac d'un monastère en ruine ; réchauffée par les braises laissées près de la rivière après le départ des gitans. Nous avons été amenés à imaginer Cohen passant ses matinées à méditer dans des costumes Armani, ses après-midi à lutter contre la muse, ses soirées assis dans des cafés où il mange, boit et parle avec âme mais en flirtant avec les jolies alouettes de la rue. Il est fort possible qu'il s'agisse d'un portrait déformé. L'apocryphe, cependant, possède un type particulier de vérité.
Cela n'a pas vraiment d'importance. Ce qui compte ici, c'est qu'après trente ans, L. Cohen tient la cour dans le hall du tourbillon, et que des géants se sont rassemblés pour lui rendre hommage. A lui -- et à nous -- ils apportent les offrandes qu'ils ont martelées dans son fer, son plomb, son azote, son or.