Je me suis alors rendu compte que les hommes de tout le pays devaient connaître le nu shu (les écrits des femmes). Comment auraient-ils pu ne pas le savoir ? Ils le portaient sur leurs chaussures brodées. Ils nous voyaient tisser nos messages dans des tissus. Ils nous entendaient chanter nos chansons et montrer nos livres de mariage du troisième jour. On dit que les hommes ont un cœur de fer, tandis que les femmes sont faites d'eau. C'est ce qui ressort des écrits des hommes et des écrits des femmes. L'écriture masculine compte plus de 50 000 caractères, tous différents les uns des autres, avec des significations et des nuances profondes. Notre écriture féminine compte 600 caractères, que nous utilisons phonétiquement, comme des bébés, pour créer environ 10 000 mots. Il faut toute une vie pour apprendre et comprendre l'écriture masculine. L'écriture féminine est quelque chose que nous apprenons en tant que jeunes filles, et nous nous appuyons sur le contexte pour en extraire le sens. Les hommes écrivent sur le domaine extérieur de la littérature, des comptes et des récoltes ; les femmes écrivent sur le domaine intérieur des enfants, des tâches quotidiennes et des émotions. Les hommes de la famille Lu étaient fiers de la maîtrise du nu shu et de la dextérité en broderie de leurs femmes, bien que ces choses aient autant d'importance pour la survie qu'un pet de porc.
